Accompagnement et formations


Territoires à vivreS vise à favoriser l'inter-connaissance entre monde de la solidarité et monde agricole. L'objectif est de mieux comprendre les difficultés et les réalités des uns et des autres pour les dépasser ensemble. Ainsi, il s'agit de sensibiliser les acteurs de la solidarité aux grands enjeux du monde paysan et leurs fournir les principales clefs de compréhension des modèles agricoles. Retour sur des moments forts de formations et d'échanges.

Prix et agriculture - Retour sur les journées d'Avignon (10 et 11 mars 2022)

Le 10 et 11 mars 2022, les membres de Territoires à vivreS se sont retrouvés à proximité d'Avignon pour deux journées de formation et d'échanges. Au programme : visite de ferme et d'un magasin de producteur, interventions et animations sur les composantes économique d'une ferme, la constitution du revenu des agriculteurs, la définition d'un prix de vente et la construction de filières territoriales.

Reportage sur la Ferme du Colobri (84) de Nicolas Verzotti, administrateur au Réseau Civam et maraicher.

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Nicolas Verzotti propose une viste de sa ferme aux participants du projet Territoires à vivre
« Je me suis installé en 2012, hors cadre familial sans subvention. Les trois premières années j’étais pluriactif et lorsque j’ai pu bénéficier d’un marché régulé pour vendre dans de bonnes conditions ma production, je suis devenu paysan à titre principal. Ce marché régulé est en fait un magasin de producteur où je fixe les prix et les volumes des légumes sur lesquels je suis planifié (…) Pour fixer le prix, on est toujours tiraillé entre le coût de revient, l’acceptabilité et l’accessibilité », explique Nicolas Verzotti, administrateur de Réseau Civam et paysan sur la Ferme du Colibri, qui cultive 1,5 hectare de légumes et fruits en agroforesterie sur la commune du Thor (Vaucluse).

Un coût de production global facile à déterminer
Ce 10 mars au matin, une trentaine de participants au projet Territoires à vivre suivent Nicolas, qui pendant près d’une heure tentera de répondre à la question : « comment les paysans fixent-ils leur prix ? ». Il est assez simple pour un paysan de chiffrer son coût de production global, qui intègre les intrants comme les semences, l’engrais et le carburant, la rémunération du travail, le matériel, la location des terres, le remboursement des emprunts, les impôts et taxes, les subventions… Mais le prix à laquelle cette production est vendue dépend essentiellement, au-delà de la qualité et de la saison, du circuit de distribution.

Les circuits longs : des logiques surréalistes ?
Dans les circuits longs, les fermes livrent à des acheteurs qui fixent leur prix en fonction du « marché » et donc de l’offre et de la demande, souvent en concurrence avec des produits d’autres territoires ou pays. « Pour avoir une place sur le marché de gros, il faut moins de diversité qu’en circuits court mais des volumes importants et réguliers, des choses à livrer toutes les semaines. Pour pouvoir placer sa salade à 80 centimes, un producteur va vendre aussi des pommes de terre moins chères que prévu, par exemple à 1 euro le kilo. Certains vendent à perte. On rentre dans des logiques surréalistes », estime Nicolas.

Dans la production laitière, l’éleveur ne fixe pas son prix
Un producteur qui doit récolter et livrer ses salades lorsqu’elles sont à maturité pourra être payé près de 80 centimes à certains moments ou moins de 70 centimes d’euros à d’autres. Dans la production laitière, l’éleveur ne fixe pas de prix : il passe un contrat global et connait par la suite le détail du prix payé en fonction de différents facteurs comme les volumes, la qualité du lait… (cf. article xxx). « Un voisin installé depuis une trentaine d’année en bio, qui cultive une surface plus importante que moi, me disait dernièrement « je ne comprends rien au marché des fruits et légumes, une année l’aubergine est à 1,2 euros, l’année d’après le prix va être doublé à 2,4 euros ». Et il livre aux grossistes sans connaître à l’avance le prix qu’il sera payé », rapporte Nicolas.

Des marchés régulés
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La Ferme du Colibri, au Thor (Vaucluse) vend une partie de ses produits en direct
Dans les circuits courts, en revanche, la fixation des prix est plus complexe et tient compte de différents facteurs. Nicolas vend ses produits à moins de 25km de la ferme par le biais d’un magasin de producteurs (60% du volume) où il maitrise les prix et les volumes des différents produits (cf. article xxx), du réseau Biocoop (20%) et en direct à la ferme (20%).

Mais le prix de vente qu’il fixe ne dépend pas que du coût de production de chaque légume. « On est une vingtaine pour approvisionner le magasin de producteur, la coopération est la clé de voûte du bon fonctionnement de notre espace de vente, ma ferme ne pourrait pas exister sans cette coopération. La gestion de l’approvisionnement consiste à organiser une complémentarité entre producteurs et une répartition équitable du volume de vente. Par exemple, il y a plus de rentabilité sur la salade, qui est prête en 50/60 jours alors qu’une carotte, c’est 90 à 140 jour avec plus de contraintes à la récolte et au conditionnement qui prend beaucoup de temps, avec le lavage notamment. L’itinéraire technique est aussi beaucoup plus dense. Cela influe sur le prix », explique Nicolas. Il sera plus facile de dégager un prix rémunérateur sur une culture courte et peu technique comme la salade que sur la carotte ou le chou qui sont des cultures plus longues.

Quel prix pour la pomme de terre ?
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Sur la ferme du Colibri, environ 2000m2 sont consacrés aux pommes de terre.
Sur la parcelle de pommes de terre que Nicolas nous montre, environ 2000m2, il est possible d’en récolter 2,5 tonnes par an. Dans les coûts de production, il liste les semences (350€), l’irrigation avec les gaines de goûte à goûte (80€) et le temps de travail, notamment pour la plantation manuelle : 6 heures à deux pour 150 à 250kg de plants. La récolte manuelle et le stockage clôturent le cycle de production. Le prix de vente au magasin de producteurs est fixé à 2,5 euros pour que Nicolas puisse couvrir le coût de revient et sa rémunération.

« Pour fixer mon prix je tiens compte de mon coût de revient, de ma rémunération autant que possible en tenant compte de l’acceptabilité. Chaque année de production ne se ressemble pas et le rendement moyen peut fluctuer, il est important d’organiser sa planification avec un équilibre entre les variétés qui sont plus rémunératrices et les variétés plus compliquées », note Nicolas.

Des modèles différents pour chaque circuit
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L'agroforesterie offre plusieurs avantages sur la ferme du Colibri,, dont celui de protéger les cultures du vent.
Ce choix de circuit de distribution est fortement lié au système de la ferme. « Je me suis installé hors cadre familial, sans patrimoine. J’ai acheté mes terres un euro le m2, avec un crédit à la consommation ! Cela a conditionné mon système de production qui s’écarte clairement du modèle industriel très mécanisé, j’ai opté pour un modèle artisanal, ici le tracteur est sorti de la ferme pour y faire rentrer l’arbre qui en est un élément essentiel. J’ai opté pour des portes outils légers type motoculteurs. Mon système est clairement orienté sur le circuit court avec des récoltes échelonnés. »

« Les collègues agriculteurs installés sur des fermes plus grandes, orientées sur les circuits longs développent des systèmes de productions très mécanisés pour compenser des faibles prix de vente par des volumes de productions importants, les récoltes ne seront pas échelonnées et acheminées sur le marché de gros. Ce type de production est souvent difficilement compatible avec le circuit court qui nécessite une logistique très différente ».

Des broyats de déchets verts et des arbres
Au-delà des questions économiques, Nicolas rappelle aussi l’intérêt de son système agroforestier, plus durable sur le plan agronomique avec la présence des arbres qui sont à la fois un abri climatique est un élément structurant sur la ferme. La gestion de la fertilité est assurée par des apports de matière organique réguliers comme les broyats de déchets verts produits sur le territoire et acheminés grâce à une filière d’approvisionnement structurée par le GRCivam PACA.


  • Surface : 1,5ha
  • Main d’œuvre :1 paysan temps plein + 200 heures par an de travail salarié
  • Circuits de distribution : 60% en magasin de producteurs et 20% en épiceries (Biocoop) et 20% en direct.
  • Chiffre d’affaires de la ferme : 29 000 à 35 000 euros
  • Excèdent brut d’exploitation : 46%
  • Subventions PAC : 200 euros par an
  • Crédit d’impôt : 3500 euros par an
  • Bénéfice : 1100 euros par mois
  • Cotisations : 300 euros par mois
  • Reste à vivre/salaire net : 924 euros
  • Temps de travail : 25 heures hebdomadaires en hiver/50 heures au printemps/été et début d’automne


Nicolas Verzotti, administrateur de Réseau Civam et paysan sur la Ferme du Colobri (84), plaide pour une socialisation de l’alimentation.

Même s’il maîtrise en partie ses prix grâce au magasin de producteurs et n’a pas d’emprunt à rembourser pour sa ferme, Nicolas se rémunère en dessous du smic : « il me reste environ 1100 euros par mois. Le métier est valorisant sur différents plans mais pas sur la rémunération. Par exemple en cas de maladie la continuité d’activité serait difficile à assumer. Je travaille environ 50 heures par semaine sur la période printemps/été, environ 25 heures l’hiver (…) Mes deux enfants voient bien le niveau d’engagement de mon métier. Ils sont sensibles aussi à la précarité qu’ils peuvent voir chez des collègues paysans maraîchers, nous sommes les grands oubliés des politiques publiques comme la PAC ».

Des outils de régulation supprimés
De l’autre côté, l’accessibilité des produits fermiers dans un magasin de producteurs, par rapport à d’autres produits dans la grande distribution, pose problème. « On est bien conscient que les prix de nos produits fermiers ne sont pas accessibles à tous, nous sommes dans un contexte où les producteurs devraient vendre plus cher alors que leurs concitoyens voient leurs dépenses alimentaires de plus en plus contraintes », note Nicolas.
Il y a deux sujets différents mais liés, la construction du prix et son accessibilité, explique Nicolas. Pour lui : « le marché des denrées alimentaires devrait être régulé, ça ne doit pas être la foire d’empoigne. Des outils de régulation au niveau européen ont existé. Dans les années 1970, les distributeurs appliqué un taux de marge fixe imposé par l’état sur les fruits et légumes : par exemple le marchand ne pouvait pas vendre plus de 1,2 fois plus cher que le prix du producteur ».

Des prix trop bas mais trop élevés…
Pour résoudre ce dilemme - rendre la nourriture de qualité accessible à tous et rémunérer correctement les agriculteurs et travailleurs agricoles - Nicolas appelle à revoir le système de subventions. Il touche un crédit d’impôt de 3 500 euros car se ferme est en agriculture biologique mais n’a pas d’autre subvention. « Nos fermes maraichères, ne bénéficie pas de dispositifs publics qui viendraient compenser des prix trop bas » regrette Nicolas. Les agriculteurs français ne sont pas logés à la même enseigne et il existe de grandes disparités. Les aides de la PAC sont fléchées sur l’élevage ou la production céréalière car elles sont liées à la surface cultivée : les exploitations maraîchères ne sont pas soutenues. Une grande partie des aides de la PAC sont ainsi orientés vers la production de céréales ou de lait, dont la moitié est exportée.

Décider de la production sur chaque territoire
« La PAC, les aides publiques, questionnent la profession. Mon point de vue, est que le paiement direct à l’agriculteur produit des effets qui ne sont pas dans l’intérêt de tous, je ne suis pas certain que cela soit une bonne solution. La PAC est profondément inéquitable et entretien un système de rente chez certaines filières, une petite partie de la profession est sous perfusion des aides de la PAC et une majorité sans aides. Certaines politiques publiques ont eu un effet plus que délétère sur la biodiversité, il n’y a pas si longtemps la PAC encourageait les agriculteurs à arracher des haies pour rendre la surface occupée par cette haie éligible au paiement, regrette Nicolas. Il faudrait s’autoriser une remise à plat des politiques publiques liées à la production de notre alimentation. Une politique de planification ambitieuse qui donne des garanties aux paysans et aux mangeurs, comme la sécurité sociale donne des garanties aux soignants et aux soignés ».

Des garanties de revenu
Alors que la part des revenus des ménages dédiée à l’alimentation a largement baissé en 30 ans, à cause de la concurrence d’autres produits de consommation mais aussi de la hausse des dépenses contraintes telles que le logement ou le transport, Nicolas plaide pour socialiser la production alimentaire : « pourquoi on a des hôpitaux aujourd’hui ? Parce qu’on s’est dit que ce serait important de garantir à tous un accès aux soins, et pour cela il faudrait notamment mettre sur pieds une infrastructure de soins. Des comités de citoyens dans chaque département décidaient des investissements. Nous voulons des soins de qualité il faut alors garantir une juste rémunération à ceux qui nous soignent. La sécurité sociale est fondée sur des valeurs universelles. Les Civam pensent que socialiser l’accès à l’alimentation produirait les mêmes effets qualitatifs ».



  • Surface : 1,5ha
  • Main d’œuvre :1 paysan temps plein + 200 heures par an de travail salarié
  • Circuits de distribution : 60% en magasin de producteurs et 20% en épiceries (Biocoop) et 20% en direct.
  • Chiffre d’affaires de la ferme : 29 000 à 35 000 euros
  • Excèdent brut d’exploitation : 46%
  • Subventions PAC : 200 euros par an
  • Crédit d’impôt : 3500 euros par an
  • Bénéfice : 1100 euros par mois
  • Cotisations : 300 euros par mois
  • Reste à vivre/salaire net : 924 euros
  • Temps de travail : 25 heures hebdomadaires en hiver/50 heures au printemps/été et début d’automne

Ce point de vente collectif est géré par des agriculteurs qui fixent les volumes et les prix des produits vendus et s’organisent pour l’approvisionnement.

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Nicolas Verzotti, paysan et administrateur de Réseau Civam, écoule une grande une partie de sa production au magasin de producteur La Banaste, situé dans la commune de L'Isle-sur-la-Sorgue (Vaucluse). Sur les étals, on y trouve des fruits et légumes de saisons, des produits d’épiceries comme du miel et des pâtés ou sauces, du vin et des boissons, un rayon boucherie, des fromages, du pain…

« Un magasin de producteurs permet d’être proche des consommateurs, d’avoir des garanties pour planifier nos productions et dégager une rémunération plus juste. C’est un point de vente collectif, on mutualise la gestion de cet espace de vente un peu comme si on vendait sur un marché de plein vent avec les commodités de stockage et d’accueil du magasin », explique-t-il. L’argent de chaque vente va directement au producteur, payé régulièrement, et une partie est reversée à la société qui gère le magasin, pour assurer les frais de fonctionnement. C’est le principe de la remise directe.

« Pas de bananes, que des produits fermiers locaux ! »
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L’intérêt principal de ce statut de point de vente collectif, au-delà de l’exonération de TVA pour le magasin puisqu’il n’effectue pas d’achat/revente, est qu’il permet aux agriculteurs de fixer collectivement et sur le long terme les prix et les volumes de leur produits. Il comporte aussi des obligations, comme la présence d’un producteur lors des horaires d’ouvertures et un pourcentage maximum de produits vendus par des artisans de l’agroalimentaire (30%). « Le pain, par exemple, c’est un boulanger du Thor qui travaille avec des farines de blé ancien. Mais vous ne trouverez pas des bananes ! Que des produits fermiers et locaux », détaille Nicolas.

Un salarié est présent à temps partiel pour aider à la vente, mais l’essentiel du travail est assuré par les producteurs. « On fait une réunion par mois pour participer à l’effort de gestion, organiser les permanences à la vente, établir les règles de fonctionnement… Par exemple, ici il n’y a pas d’OGM, les fermes ne sont pas toutes labellisées AB mais produisent selon des pratiques agroécologiques », précise Nicolas. Le magasin est administré par une coopérative qui regroupe les 18 agriculteurs partenaires et réalise un chiffre d’affaires d’environ 400 000 euros par an.

Planifier la production et les livraisons
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Le rayon légume devant être approvisionné régulièrement et avec une diversité de produits, les six maraîchers fixent collectivement des plannings de production avec un équilibre à trouver pour se répartir les productions plus ou moins rentables ou « faciles ». « L’année dernière j’étais planifié sur l’ail par exemple, une culture plutôt facile, et cette année c’est une collègue maraîchère qui le produira. La planification est la clé de voûte de l’approvisionnement du rayon des légumes. L’avantage est qu’on connaît les volumes que l’on va vendre et il n’y pas de pertes ou gaspillage », remarque Nicolas.

Les producteurs sont conscients que les prix pratiqués ne sont pas accessibles à tous. Par exemple le poulet fermier élevé en plein air avec le label AB, à 13 euros le kg contre 5 à 9 euros en grande surface pour un poulet d’élevage industriel. La clientèle plutôt âgée et fidèle ou composée de touristes, a un fort pouvoir d’achat. Des réflexions sont aussi en cours pour faire évoluer le lieu. « Peut-être s’ouvrir à d’autre choses que l’alimentaire, faire venir des artisans, des artistes ? Tous les gens qui sont nos clients, nos réseaux, nos voisins… Il y aurait du monde. Mais il faut de l’énergie pour cela », note Cédric, également maraîcher et membre de La Banaste.

Quel soutien des collectivités ?
Les agriculteurs remarquent aussi que leur magasin n’est ni soutenu ni reconnu par la municipalité actuelle. « Je découvre qu’en Occitanie, il y a le réseau Boutiques paysannes, qu’il y a une implication des collectivités. Ici, il n y’a pas le même intérêt. On n’a jamais rencontré quelqu’un du service qui gère l’approvisionnement de la cantine scolaire par exemple », regrette Nicolas.

Les éleveurs n’ont pas leur mot à dire sur le prix du lait. Pour améliorer leurs revenus, certains choisissent de limiter leurs charges en mettant d’avantage leurs vaches à l’herbe.

Comment fait-on du lait ? La question paraît naïve, mais pour déterminer le coût d’un litre de lait, il faut préciser l’ensemble des étapes de la production. Comme l’explique David Falaise, coordinateur du Pôle Agriculture durable Grand Ouest au Réseau Civam « la vache, il faut qu’elle donne naissance à un veau pour faire du lait. En France, il reste une dizaine de jours, après, il faut le mettre dans un bâtiment où on va le nourrir avec du lait en poudre et de l’eau. Cela demande beaucoup d’énergie pour recréer du lait à partir de la poudre et la fabriquer : il y a 95% d’eau à enlever. Au bout de trois moins cela donne des escalopes ».

Herbe, maïs, soja, engrais, pesticides, énergie…
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Dans le prix d’un litre de lait, il faut prendre en compte l’alimentation des vaches : de l’herbe, mais aussi des céréales, du maïs ensilage et des compléments alimentaires, du soja pour l’apport de protéines. « Le soja coûte cher à produire en France, donc on l’importe, souvent Brésil. Au Brésil, il y a seulement 0,5% du soja qui n’est pas OGM », précise David Falaise.

Pour produire cette nourriture, il faut des semences et des pesticides mais aussi des engrais : soit des légumineuses qui captent l’azote pour nourrir le sol soit de l’azote minéral. Celui-ci est fabriqué avec du gaz, notamment en Ukraine et en Russie. « Le prix est passé de 350 euros avant la guerre à 1 000 euros la tonne en mars 2022 », note David Falaise. Enfin, il faut ajouter le coût des traitements vétérinaires, du carburant, l’achat d’un tracteur, des bâtiments, des terres… Pour un éleveur avec une cinquantaine de vaches qui nécessitent 50 à 60 hectares (ha) de terres, le coût d’une installation avoisine les 350 000 euros dans certaines régions de France.

L’éleveur ne fixe pas son prix
Du côté des recettes, l’éleveur peut compter sur la vente des veaux, de 40 à 50 euros pièce ; des vaches, que l’on garde en moyenne environ cinq ans en système conventionnel et dix en système herbager ; et du lait. Mais l’éleveur ne fixe pas son prix. Pire, il ne sait pas à quel prix le lait qu’il livre sera payé par la société avec qui il passe des contrats sur plusieurs années. Certains éleveurs valorisent tout ou partie de leur lait dans des ateliers de transformation fromagère et ont recours aux circuits courts mais ils sont peu nombreux.

4 centimes le litre
La majorité des 50 000 éleveurs laitiers vendent leur lait à quelques acteurs, notamment Sodiaal et Lactalis. En France, le prix standard en système conventionnel a atteint environ 4 centimes le litre en mars 2022 mais était de 3 à 3,5 centimes ces dernières années. Pour les agriculteurs confrontés à ce système, avec des prix proches des coûts de production, il n’existe que deux solutions pour « s’en sortir » explique David : s’agrandir et investir pour essayer de trouver des économies d’échelles – avec beaucoup d’échecs et de surendettement – ou diminuer les charges et donc les intrants pour augmenter les marges. « Il y a quelques années dans l’Ouest, on s’est dit : on va mettre les vaches au champ, la vache va elle-même chercher sa nourriture, pas besoin de tracteur, pas besoin de fertilisant… C’est ce qu’on appelle les systèmes herbagers »

Des systèmes plus résilients ?
D’après l’Observatoire technico-économique du Réseau Civam les systèmes herbagers, comparés aux exploitations laitières « conventionnelles » du Grand Ouest, affichent un chiffre d’affaires par travailleur plus bas de 28% mais dégagent un revenu plus élevé de 15%, avec 24 000 euros par an en moyenne. Pour un même volume de lait, les coûts d’alimentation dans les fermes en système herbagers, sont de 34% plus faible et les coûts de mécanisation 30% plus faibles.

Ces fermes, qui sont moins capitalisées, sont aussi plus faciles à transmettre alors que d’ici une quinzaine d’année, 50% des éleveurs et éleveuses devraient partir à la retraite. Dans un contexte d’augmentation des prix et de problème de disponibilités des matières premières, les systèmes herbagers paraissent aussi plus résilients. Mais jusqu’à un certain point : difficile de se passer de pétrole, de gaz ou de certains aliments.
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Pour Agnès Terrieux, géographe impliquée avec les Civam dans le projet Territoires à vivreS, la recherche d’un prix suffisant pour les agriculteurs mais accessible pour les consommateurs, est une impasse.

« Je suis géographe, je m’intéresse dans mes travaux à la manière dont les agriculteurs construisent et utilisent le territoire. J’ai travaillé avec les Civam sur un certain nombre de leurs programmes. La construction du prix, dans une offre faite par les agriculteurs, on l’a déjà travaillée sur l’accueil social. Il y a un courant de pensée en France qui considère que les agriculteurs ne savent pas construire un prix. Dans la réalité, on s’aperçoit que de très nombreux agriculteurs ne vendent pas : on leur achète leur production. Combien d’agriculteurs, y compris comme membres d’une coopérative, ne participent jamais à la construction du prix ? Alors qu’en tant que vendeur et surtout de membre de la coopérative, ils devraient participer à la construction du prix de leur propre produit. La position des agriculteurs est presque la même que celle d’un consommateur dans un supermarché. Si je dis que le Carambar est trop cher, on ne me le vend pas.
Quand les agriculteurs se mettent à essayer de s’approprier la question du prix et donc de devenir vendeur, dans des logiques de circuits courts ou de réorganisation de structures coopératives, est-ce qu’ils sont aussi incompétents que nous le dit la littérature ? Des agriculteurs nous ont expliqué comment ils construisaient leurs prix. Moi je leur fait confiance. Je considère qu’ils ont de bonnes raisons d’avoir construit leurs prix comme cela. Lorsqu’un agriculteur vous dit qu’il faut vendre les carottes à tel prix, car ce prix prend en compte le coût de production, son salaire et sa capacité d’investissement, ce prix est juste. Je ne veux pas croire que par principe, l’agriculteur demande délibérément un prix qui exclurait certains consommateurs.
Le premier problème, c’est ce qu’il y a dans ce prix. Si le prix est important, qu’est-ce qu’il y a dedans en plus du salaire ou des investissements ? Quelle est la valeur du produit ? Est-ce qu’elle est traduite dans son prix ? La valeur du produit agricole, pour moi, dépasse le prix et ne sera jamais mesuré par son prix. Car un produit agricole est aussi une manière d’organiser la société et l’espace. On a entendu qu’il n’y avait pas assez de maraîchers dans des circuits courts car on a organisé l’espace en les excluant. Pourtant, ils ont de la valeur dans l’organisation de l’espace quand on regarde le paysage. Celui-ci à une valeur, par exemple pour le tourisme, qui est vendue par d’autres.
L’autre problème, le point nodal de cette affaire du prix, c’est cette impasse : les producteurs ont besoin de vendre plus cher et les consommateurs ont besoin d’acheter moins cher. Ce n’est pas par cette entrée qu’il faut travailler, car au bout de l’impasse, il y a un mur. Est-ce que le marché peut résoudre le problème que crée le marché ? Non. Ce n’est pas son objectif. On pourrait penser l’alimentation comme un bien commun. Un bien communs est exclu du marché par principe, c’est ce que l’on peut tous consommer sans mettre en péril la consommation des autres, comme l’air. En France, on a transformé les biens communs en un bien privé. On a un marché de l’eau. On l’a fait car on s’est dit : il y en a qui prennent trop, donc on va faire un système consommateur-payeur. Mais ça ne régule rien car tant qu’on a de l’argent, on peut acheter.
Si l’alimentation est un bien commun, on ne s’interroge plus sur son prix. Il faut trouver d’autres méthodes de financement que le prix fixé par le marché, par l’entente entre le vendeur et l’acquéreur. Cela veut dire qu’on est capable de dire que ce qui construit le prix est la valeur. Un agriculteur qui emploie plus, car une valeur de la société peut être d’avoir le moins possible d’exclusion sociale à cause du chômage, peut avoir des produits de plus grande valeur. On pourrait mieux rémunérer un agriculteur qui a certaines pratiques de protection de l’eau, de l’environnement. C’est un grand projet politique et non économique.
Hier on a beaucoup parlé d’aides publiques et de subventions. Je pense que l’on manque d’une cartographie suffisamment précise des flux financiers d’aides publiques sur l’alimentation. On connait la politique agricole commune (PAC) les montants versés par les régions, les aides départementales, la fiscalité agricole - c’est une forme d’aide de fiscaliser ou non certains revenus ou produits. Mais quels sont les flux ? Qui donne et qui cela arrose ? C’est l’orientation des flux. Est-ce qu’on arrose toujours là où c’est mouillé ? Ensuite, quelle est la taille du tuyau. Peu d’argent pour certains, trop pour d’autres ?
Aussi, il faut savoir quels sont les objectifs de l’aide publique. Pour Michel foucault, c’est la sécurité. On a créé la PAC car on avait peur de l’insécurité que peut générer la faim. C’est aussi pour cela qu’on a une politique d’aide alimentaire. Certains disent : « entre la civilisation et la sauvagerie, il y a six repas ». Il ne faut pas se leurrer, toutes les politiques publiques ont cet objectif. Après, on va les habiller : on va par exemple faire des politiques environnementales. Mais c’est car on a peur des conséquences d’un effondrement écologique. Le marché est là pour assurer une forme de stabilité et pas pour régler l’insécurité. La sécurité ne peut reposer que sur un objet idéologique qui est : quelle société on veut ? Une société régulée par le marché, c’est un marché. Or sans société, pas de communs. La fonction publique, les services publiques - on n’est pas là pour vendre mais pour servir - ce sont des biens communs -, c’est la seule richesse des pauvres.